mardi 29 avril 2014

Faut-il que votre restaurant scolaire s'approvisionne en produits locaux ?

Un récent sondage des lecteurs de la Charente Libre (voir ici) indique que 79% des lecteurs sont favorables à l'introduction des produits locaux dans les cantines scolaires. Si ce sondage n'a pas de valeur scientifique, il vient confirmer toutes les enquêtes sur le sujet. Pourquoi dans ce contexte très favorable, les produits locaux ne sont-ils pas plus utilisés en restauration collective, notamment scolaire ? 

Car il faut le dire, l'utilisation des produits locaux par la restauration scolaire est totalement marginale en France. Par exemple, 80% des 400 000 tonnes de viande bovine consommées chaque année dans la restauration collective, sont importés. Les importations viennent essentiellement d’Allemagne et de Hollande, mais aussi d’Irlande. Dans la restauration rapide, c'est la même chose : Mc Do s'approvisionne pour plus de la moitié de ses steacks hors de France.

Pourquoi ? Tout simplement parce que les entreprises de restauration collective, les leaders en tout cas, ont massifié leurs achats, et n'ont absolument pas envie, quoi qu'elles en disent (voir ici comment les utilisations anecdotiques de riz de Camargue sont mis en valeur par une boîte de com' pour un acteur majeur du secteur) , de diversifier leurs filières d'approvisionnement. Dans ce contexte d'écart entre le dire et le faire, les clients doivent contrôler la réalité des approvisionnements locaux. Ce n'est pas facile. Il faut commencer par définir ce qu'on entend par local, en ne confondant pas le circuit court et la production locale, généralement considérée comme telle lorsque son producteur se situe dans un rayon de 150 kms. Mais cela peut faire partie d'un contrôle global de marché. Les consultants experts ont les outils pour le faire.

Michel Deprost, ici, mentionne à juste titre que des progrès ont été faits. Des initiatives fleurissent, surtout en restauration publique, réalisées par des acteurs publics (le département de Vendée a créé une légumerie locale pour approvisionner ses collèges en légumes locaux) ou privés (Sogeres a développé une filière avec les éleveurs de la Communauté de Communes de Beaune pour se fournir en viande bovine locale). Plus localement, des fermes pédagogiques, comme celle de Kerlebost à Pontivy, vend aux particuliers et commence à développer son offre à destination du prestataire de son propre restaurant scolaire et également des 10 établissements catholiques qui l'entourent. Mais il faut le dire : les restaurateurs les plus consommateurs de produits locaux sont les challengers, et non les leaders internationaux, parce qu'ils en font un argument de vente et que leur centrale d'achats est moins structurée.

Bref, si un établissement souhaite mettre en valeur l'agriculture locale, et ainsi répondre à l'attente des parents, il faut qu'il se tourne plutôt vers un petit opérateur. Ils n'auront pas les outils de communication des grands Groupes, mais le contenu dans l'assiette. Attention, ne confondons pas "petit" et "local" : il y a des prestataires régionaux qui n'ont gardé que le nom... Leur centrale d'achat est depuis longtemps ou depuis peu, celle du Groupe international auxquels ils appartiennent !

Je reviendrai dans un autre billet sur les barrières à franchir : plus que de la question du surcoût, que j'aborderai, c'est surtout sur une anticipation de l'offre par rapport à la demande qu'il faut agir.



lundi 21 avril 2014

Ecole laïque, école libre et menus sans porc : quelle réponse pour la restauration scolaire ?

Marine Le Pen a encore une fois défrayé la chronique en demandant le rétablissement du porc dans les cantines des écoles. Le débat peut être observé ici, ou , où là encore. Vaste blague, il n'a jamais été interdit ! Ce lundi de Pâques et 21 avril est l'occasion pour moi d'aborder le sujet des menus "spécifiques". La France laïque a depuis longtemps trouvé une réponse face à l'inquiétude de nombreux chefs d'établissement quant aux demandes de plus en plus fréquente d'exclusion de la viande de porc et des produits de charcuterie des cantines scolaires.

Une réponse claire sur le fond.

A la suite d'une question du parlementaire Alain Suguenot, le Ministre rappelle ici, le 7 janvier 2014 dernier, les 4 points clefs de la jurisprudence et du consensus actuels :
-  La restauration scolaire est un service public facultatif. En ce sens, la fréquentation de la cantine n'est pas obligatoire
Le principe de laïcité exclut la prise en compte de demandes religieuses au sein de l’école. Ainsi « le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités"
La restauration scolaire relève de la compétence des collectivités locales, et à ce titre, il leur revient de poser des règles et de définir leur menu.
Il est recommandé d'informer les parents lors de l'inscription à la cantine et d'afficher les menus à l'avance afin de permettre aux parents de prévoir les jours de présence de leur enfant (cf. rapport du défenseur des droits du 28 mars 2013 relatif à l'égal accès des enfants à la cantine scolaire)

Pour claire et précise qu’elle est, cette réponse ne passe cependant pas la réalité de la situation d’un certain nombre de collectivités et d’établissements.

Sur le terrain, une réponse difficile à mettre en pratique

Car enfin, que constate-t-on sur le terrain ?

- Si elle n’est pas un service public, la restauration scolaire n’en est pas moins devenue un service indispensable dans une société qui, prônant l’égalité femmes-hommes, a fait de la journée continue de travail pour les 2 parents, la norme la plus communément admise sur laquelle se base toute l’organisation de la société. Dire la fréquentation de la cantine n’est pas obligatoire pour l’enfant dont les 2 parents (quand il ne s’agit pas de famille monoparentale) travaillent, relève donc d’une argumentation pour le moins irréaliste si ce n’est spécieuse.
- Si l’on partage le fait qu’il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore à toutes les revendications religieuses (où s’arrêterait-on ?), la présence majoritaire, dans certaines écoles, d’enfants de confession musulmane, ne peut laisser indifférent. Qu’est-ce qu’un service qui ne répond pas à la majorité des personnes qu’il est censé servir ? Les collectivités n’ont certes pas obligation de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles mais, de fait, comment répondent-elles, autrement qu’en fermant les yeux ou en détournant hypocritement le regard ? Certaines collectivités ont d’ores et déjà pris le problème à bras le corps. La Ville de Strasbourg propose des menus hallal et casher, ces derniers ayant encore plus de contraintes que les premiers.

Quelle réponse pour l'enseignement catholique ?

Contrairement à l’école laïque, qui ne reconnait pas, par principe, l’appartenance de ses élèves à une communauté religieuse, l’école catholique ne peut éviter de regarder ses élèves, et donc ses convives, comme des enfants de Dieu. S’interdire la question des menus spécifiques n'est pas simplement une hypocrisie, un déni de réalité, c'est aussi un renoncement. C’est, évidemment, dans le regard que se situe le fait éthique.

Et dans sa longue tradition, où les règles et les rythmes nutritionnels étaient prescrits selon sa vision du pur et de l’impur (les célébrations de Pâques sont là pour nous le rappeler), l’Eglise catholique doit avoir des choses à dire. Je ne me permettrais pas de le faire à sa place, mais lancer le débat pourrait contribuer à faire évoluer la société française toute entière. Ce serait la contribution de l’Enseignement Catholique à la définition de la laicité de son pays. Quels pourraient être les termes de ce débat Considérer en premier lieu que la restauration scolaire est un service public, en ce sens qu’il fait partie de l’école, et est nécessaire à son bon fonctionnement. Considérer ensuite que, si la prise en compte de pratiques religieuses n’est pas obligatoire, rien ne l’interdit. Considérer enfin qu'il s’agit d’un cas pratique d’exercice de la pratique religieuse, ce qui veut dire qu’il n’y a pas une réponse, mais des réponses circonstanciées, qui doivent être le résultat d’une praxis, et émerger d’un processus de discussion collective, incluant toutes les parties prenantes : les convives, les équipes de restauration, les parents, l'équipe éducative. En ce sens, les règles de consultation publique, mises au point à propos de sujets épineux par le corps social (débat sur la bioéthique, les nanotechnologies,...), pourraient constituer une première base de réflexion. Reste à l'enseignement catholique à définir son propre processus participatif et délibératif pour faire consensus, faire Eglise.

Et d’un sujet de crispation, d'un tabou, qui génère des réponses binaires ou hypocrites, l’enseignement catholique en fera, dans la réalité qui est la sienne, un sujet apaisé, un sujet regardé en face, dans le droit fil du respect de chacun. Le sujet des menus spécifiques aura alors contribué à faire avancer l’enseignement catholique dans la direction que lui propose Pascal Balmand dans sa conférence de rentrée : « Il est beau que nos établissements soient ouverts à tous, mais si cela se limite à la politique d’inscription, cela ne suffit pas. L’ouverture à tous, pour être pleine et entière, implique des efforts de tous les instants pour des pratiques éducatives et pédagogiques qui permettent à chacun d’en tirer profit ».