A l'heure de clôturer les Jeux Olympiques, vous pouvez penser qu'en parlant de plongeur, je fais référence à cet athlète au corps hellénique inscrit dans les canons de la beauté moderne. Dans le métier de la restauration, la réalité est plus prosaïque : rien n'est plus caché, à l'écart et finalement oublié que le plongeur. Amené à réaliser une étude sur la plonge des collèges d'un Département, j'ai pris conscience que la plonge est une espèce de trou noir dans lequel personne ne veut être absorbé.
La plonge est le trou noir de la restauration !
Mitraillette, exiguïté, absence d'ergonomie sont caractéristiques de ces poste de travail |
Les équipes ensuite, qui se distinguent entre équipes de plonge et équipe de service, ces dernières refusant, par une sorte de "distinction" très bourdieusienne, qu'on les confonde aux premières.
Le système de desserte enfin : souvent la séparation entre plonge et salle ressemble à ces moucharabiehs qui laissent passer la lumière d'un côté sans permettre à ceux qui sont à l'intérieur d'être vus. On appelle d'ailleurs ces dépose-plateaux des... mitraillettes, comme si seul le langage militaire du conflit et de la séparation trouvait grâce aux yeux des concepteurs.
Rien ne semble jamais avoir été pensé pour les plongeurs
Pire, au-delà des locaux, des équipes et du système de desserte, la conception même des lave-vaisselle est souvent scandaleuse : ces outils, bien souvent vendus 40 à 50 K€, ne font l'objet d'aucune étude ergonomique, alors qu'il serait parfois si simple de soulager le travail des plongeurs. Le saviez vous ? un plateau complet pèse environ 2 kg, ce qui signifie qu'un restaurant de 500 couverts donne lieu à un port de charge d'une tonne par jour ! Comment accepter dans ce contexte, des positionnements obligeant les opérateurs à des mouvements de torsion, de levée de bras au dessus des épaules, etc... ? Je parle de matériels neufs, pas de machines usées, qui allient la nuisance sonore au dégagement intempestif d'humidité, voire sont dangereux pour les personnes (accidents du travail voire risque d'électrocution). Je n'évoque pas non plus les locaux, bien souvent aveugles, mal éclairés, humides...
Regarder et... changer de regard !
Et pourtant une bonne partie de ces problèmes pourraient être résolus si l'on se mettait à la place du plongeur : rien qu'une fois porter son regard sur ses conditions de travail, prendre le temps de réaliser ses taches durant les 2 heures de service.
Alors quelques idées simples à mettre en place changeront la vie de ceux sans qui il n'y aurait pas même la possibilité de manger :
1. s'assurer que le local est aéré, et bien éclairé : une ventilation, des néons "lumière du jour", ne coûtent rien.
2. tenir compte du poids unitaire de la vaisselle quand on l'achète : il n'est pas normal qu'un plateau pèse 750 grammes alors que les nouveaux matériaux polymères permettent de faire des contenants solides et légers
3. mettre à disposition des matériels de stockage de vaisselle ergonomiques, comme les chariots de plateaux à fond remontant, les chauffe assiettes, des racks de rangement à hauteur d'homme, etc...
4. faire tourner les équipes, pour éviter la répétition des gestes et l'arrivée à termes des troubles musculo-squelettiques.
5. faire faire le tri des plateaux par les convives : c'est écologique, éducatif et tellement plus facile pour le plongeur
Au delà de ces solutions techniques...
J'invite à repenser la place du plongeur dans le collectif de l'établissement, afin qu'il côtoie toutes les parties prenantes. Je préconise qu'il soit en face des convives qui trient leur plateau. Il changerait ainsi de statut. Vis-à-vis des élèves d'abord, puisqu'il serait chargé de s'assurer qu'ils sont satisfaits, et de leur enseigner les bons gestes écologiques de tri. Vis-à-vis du reste de l'équipe ensuite, à qui il remonterait les informations de satisfaction/insatisfaction pour chacun des plats servis. Une ne serait plus le dernier maillon de la chaîne, mais le premier client de la prestation. Vis-à-vis de l'équipe éducative, enfin, à qui il pourrait signaler des convives se nourrissant mal ou pas.
Alors le regard change. Le voici désormais dégagé de sa mitraillette qui l'emprisonnait, le voilà chargé d'une mission de la plus haute importance dans la chaîne du service, enfin il sort de l'ombre.
"C’est précisément dans ce rappel de ma responsabilité par le visage,
qui m’assigne, qui me demande, qui me réclame,
c’est dans cette mise en question qu’autrui m’est prochain" Emmanuel Levinas
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